INTERVIEW DE JEAN-PIERRE DENIS

A la rencontre du réalisateur périgourdin
C’est au bout d’un chemin blanc, après avoir traversé un joli bois de chênes et de châtaigniers que nous arrivons devant la maison de J Pierre DENIS. Celle-ci est à flanc de côteaux, domine St Léon, St Astier, la vallée de l’Isle. Dans un enclos proche de la vieille demeure simple mais magnifiquement restaurée, deux poneys noirs d’un âge certains broutent. Nous sommes au milieu d’un havre de paix dans cette belle nature du début de l’automne !

N’étant pas journalistes pour deux sous, Patrick Vouillat et moi sommes un peu inquiets de la teneur de cette rencontre mais J.Pierre par sa gentillesse et sa simplicité nous entraine dans une discussion qui va plus s’apparenter à une sympathique rencontre autour d’une tasse de café qu’à un questionnaire journalistique. C’est ainsi que nous nous retrouvons à écouter attentivement JP Denis nous parlant de sa passion pour le cinéma et des circonstances qui ont permis de voir un jour son nom en haut de l’affiche.

– BIOGRAPHIE –
Jean Pierre (né en 1946) a, déjà très jeune, un lien fort avec le cinéma. Il nous raconte comment dans le café que tenait son père, il installait le mercredi après-midi les chaises et les bancs pour que le village puisse prendre place devant les films qui étaient projetés dans la salle du bar par un projectionniste ambulant. «Toute la famille était mise à contribution, même ma grand-mère vendait des bonbons à l’entracte !» nous dit-il avec un sourire attendri! Il découvre lors de ces séances des films qui le marqueront : « Don CAMILLO », « Tant qu’il y aura des Hommes », et son premier film choc, « La STRADA ». Ses études au Lycée Albert Claveille favorisent sa fréquentation assidue des cinémas de Périgueux « Mes cahiers et mes livres étaient recouverts des tickets cinéma que je gardais précautionneusement ».

– SES PREMIERS PAS DANS LE CINÉMA-
Après avoir digressé quelque temps sur ses jeunes et visiblement heureuses années (l’homme est plutôt prolixe!), J.Pierre DENIS nous parle de ses premiers pas avec une caméra dans les mains, une caméra super 8 achetée peu chère au BHV à Paris. Car après des études de droit à Bordeaux où sa cinéphilie ne fera que se développer, J Pierre est embauché dans les douanes à Paris. Quand il redescend chez lui à ST Léon il prend plaisir à filmer comme il dit si joliment «les gens qui sont sur le fil du siècle» faucheurs, agriculteurs, boulangers…
Avec émotion, il nous raconte cette envie, née un soir en voyant son grand père assis sur un tabouret, éclairé par une superbe lumière, préparer, remuer de ses vieux doigts noueux la « baccade» des cochons. Dans son esprit germe aussi un film sur le «dormeur du Val » le célèbre poème d’Arthur Rimbaud. Il filme avec sa super 8 et raconte pour la première fois une histoire ! La chanson «Le Déserteur» et son prélude «dormeur du Val» de Serge Reggiani en seront la bande son.
J.Pierre DENIS n’imaginait pas du tout devenir réalisateur. Au mieux sa passion pour le cinéma et son goût de la discussion l’amenaient plus vers la critique cinématographique. Mais les hasards de la vie vont prendre une importance décisive quand, à deux pas de son travail parisien, il voit que La Maison Suisse (centre culturel) organise un concours ouvert à tous les cinéastes professionnels et amateurs. Ne risquant rien et sans attentes particulières, il décide de montrer ses deux films en Super 8. Le premier, sous forme de documentaire, sur les personnages filmés dans leur travail s’appelle «Ballade à deux temps». Le second, inspiré par le «Dormeur du Val», se nomme «Champ d’Honneur» et deviendra un vrai film des années plus tard en 1987. Il gagne ce concours à sa grande surprise. Sa vie ne sera plus la même. Lors de la remise des prix, de nombreux professionnels du cinéma lui font part de leur grand intérêt pour le travail effectué et l’incite à réaliser son premier film.

– SA FILMATOGRAPHIE –
Le monde du cinéma lui entrouve ses portes, J.Pierre va s’y engouffrer.

Histoire d’Adrien
C’est ainsi que le projet de son premier film voit le jour, avec pour principale originalité que dans son intégralité les dialogues sont en langue occitane, en patois périgourdin! Le film raconte l’histoire au début du 20ème siècle d’un enfant illégitime dans le Périgord très paysan de l’époque. La discussion nous amène alors vers toutes les difficultés qui se sont dressées sur sa route avant que ce film puisse paraître. Des anecdotes sur le montage financier (le Crédit Agricole lui octroie une faible somme, en lui demandant si le film serait projeté dans des granges !), sur les acteurs, tous amateurs et connaissances de J.Pierre ! (certains un peu trop portés sur la chopine).Le tournage durera deux ans !
J.Pierre nous raconte l’émotion qui le submerge lorsqu’il apprend que son «bébé» est retenu pour représenter la France à La Semaine des Réalisateurs du Festival de Cannes en 1980. Assis à son bureau (Jean Pierre est en activité, toujours douanier) il raccroche son téléphone pensant à une plaisanterie quand on lui apprend par l’intermédiaire du combiné qu’ »Histoire d’Adrien » est retenu pour Cannes ! Il faudra un second coup de fil pour qu’il réalise l’énormité de cette nouvelle, pour lui simple douanier, plutôt mal doté d’ailleurs !

Un ange passe et Patrick et moi réalisons la chance que nous avons de partager ce moment-là ou l’émotion encore vibrante d’un homme emplie la pièce.
L’aventure d’ »Histoire d’Adrien » ne s’arrête pas là, le film au festival de Cannes gagne la Caméra d’OR récompensant le premier film d’un réalisateur. Son nom est associé désormais pour cette récompense à des réalisateurs très connus tel que : Romain Goupil, Jim Jarmusch, John Turturro…..et bien d’autres.
Pour l’homme qui n’a jamais pris l’avion une nouvelle vie commence, il est invité à présenter son film dans de nombreux festivals partout dans le monde, son œuvre est appréciée et lui, vient de rentrer dans le monde très fermé DU CINÉMA.

D’autres films viendront par la suite.
La Palombière
Sorti en 1983, ce film raconte l’histoire d’un chasseur, invétéré célibataire, tombant amoureux d’une institutrice remplaçante dans la ruralité périgourdine si chère à JP DENIS.

Champ d’honneur
En 1987 , ce film est sur la base de son film en Super 8 .

Les blessures assassines-Ce film, sur la vie terrible des sœurs Papin sorti en 2000, est nominé aux Césars en 2001 dans la catégorie meilleur film.

La petite Chartreuse
Sorti en 2005 d’après le livre homonyme de J Pierre PEJU, un libraire passionné renverse accidentellement une enfant, va naître alors une liaison très forte entre lui, l’enfant et son étrange maman.

Ici-bas
Sorti en 2012, histoire d’amour tragique entre un prêtre devenu résistant et une religieuse. Ce film est un retour en Dordogne, l’histoire s’inspirant d’un fait réel qui s’est déroulé à Thiviers.

Jean Pierre nous parle aussi de son projet de film sur les Cathares qui lui tenait à cœur mais n’a pas pu voir le jour car (entre autres) la production avait trouvé un financement en Allemagne mais de ce fait voulait lui imposer des acteurs allemands…Avec un beau sourire, J.Pierre nous confie «je ne pouvais pas me faire à l’idée que des cathares puissent avoir l’accent allemand !»

Notre hôte nous parle de sa rencontre avec Robert REDFORD au festival de Sundance à l’époque de «La Palombiére» pour nous dire à quel point il était bien intégré au milieu, et de ses séances de travail avec des grands noms du cinéma…. Un milieu où visiblement on savait s’amuser !
Quand nous lui demandons s’il a des projets en réserve, Jean Pierre nous fait comprendre qu’il n’est plus sûr d’avoir l’envie, l’énergie nécessaire pour affronter toutes ces difficultés, mais d’un air malicieux rajoute : «à moins de tenir vraiment un beau sujet !!!!».

Il s’excuse, nous dit que l’heure a très vite tournée, qu’un devoir quotidien l’attend. Nous le remercions chaleureusement, lui disons que nous avons passé un très bon moment et espérons le revoir. Puis, l’homme qui avait parlé à «l’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux» est allé rejoindre ses deux poneys, leur a glissé à l’oreille probablement quelques mots en patois, s’est saisi de leur licol pour une paisible promenade dans les près vallonnés de St Léon.
Beau plan de fin pour ce réalisateur talentueux, humble et profondément humain.
Merci M. J Pierre DENIS
E.REBIERE

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